
« Plus nous partons de chez nous, mieux nous serons universels ». C’est ainsi que s’achève le film qui ouvre la 39ème édition du Festival Vues d’Afrique. Le festival de Gérard Le Chêne a ouvert ces portes ce jeudi 20 avril par le documentaire de Fatou Cisse « Hommage d’une fille à son père ». La fille de Souleymane Cisse retrace le parcours professionnel et personnel de son père, réalisateur engagé malien, de sa tendre jeunesse à sa reconnaissance au Québec, en France, en Corée ou aux États-Unis.
L’amour du travail
Dès le début du film, on voit un jeune Souleymane passionné qui a l’amour du travail bien fait. Très tôt, il doit s’occuper de sa mère devenue handicapée dans des conditions affligeantes. À six ans, il découpe des cartons et crée des personnages animés derrière un rideau blanc avec l’éclairage d’une bougie. On peut dire que son amour pour le cinéma commence déjà à fleurir avec cette créativité enfantine. De plus, son grand frère l’amène souvent au cinéma avec lui. Souleymane partira plus tard en Union soviétique pour se former à l’audiovisuel pendant 8 ans. Il dira d’ailleurs qu’apprendre le cinéma dans ce pays, dans ces conditions, lui a appris à ne pas devenir un rêveur mais à se battre une fois rentré au Mali.
De retour au pays, il tourne « La jeune fille » (Den muso) en 1975. Ce film qui le transporte à Cannes raconte l’histoire d’une jeune fille muette violée. Le cinéaste y fait une métaphore de ce fléau qui musèle les femmes au Mali mais aussi, partout dans le monde. Au lieu de générer l’effervescence positive de l’état malien pour la situation décrite et décriée réelle ou du moins une fierté pour cet enfant du pays, Den muso n’a pas l’effet escompté.
Succès à l’international
Mal aimé dans son pays, Souleymane Cissé est reconnu à l’international et continue son art avec l’aide de sa famille qui le soutient à 100%. Son grand frère le supporte financièrement avec la forte certitude que son jeune frère fera connaitre leur pays au monde entier. Il n’a pas tord. Martin Scorsese découvrira Souleymane par son film « Yeleen, la lumière ». Après avoir vu ce film qui le bouleverse et lui fait découvrir la culture bambara, il décide de venir à la rencontre de Cisse au Mali.
Pour Baba Diop, critique de cinéma, Yeleen est le film-phare de Cisse. Si tous les autres fils du réalisateur parlait de pouvoir, celui-ci parle de lumière, de cultures ancestrales bambara et fulani/peule. Scorsese se rendra au Mali et invitera Souleymane à NY au festival Tribeca de Robert de Niro. En 2017, dans le cadre d’un partenariat avec sa fondation, Scorsese signe un accord avec la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) et l’UNESCO pour la restauration de cinquante films africains. Il déclare:
« Nous devons lutter contre l’ignorance qui envahit le monde […] Cela ne peut se faire qu’en connaissant les autres, en apprenant leur culture et leurs valeurs. » Martin Scorsese, June 2017
La nécessité de protéger le cinéma
Selon Baba Diop, le cinéma devrait être soutenu par le gouvernement. Après son premier film, Souleymane Cisse sera soutenu par le général Moussa Traoré pour continuer ses autres films. Le premier réalisateur malien et premier réalisateur africain à avoir gagner un prix à Cannes n’a à ce jour toujours pas reçu la reconnaissance qu’il mérite dans son pays.
Ce que j’ai le plus aimé dans le documentaire, c’est l’emphase mis par Souleymane Cisse et plusieurs intervenants sur l’importance pour l’Afrique francophone d’avoir des programmes de cinéma dans les universités. Plusieurs pays n’en ont malheureusement pas. L’école de cinéma qui existait au Burkina Faso a elle aussi mis la clé sous la porte. Pourtant, le Benin, la Côte d’ivoire, le Sénégal, le Mali, etc, regorgent de talents. Il suffit de voir ce que font les jeunes aujourd’hui avec très peu de moyens. Le cinéma est une industrie et doit elle aussi être reconnue, accompagnée et développée pour exister. Et pour Souleymane, pour exister, il faut produire, avoir des salles de cinéma car le cinéma est un véritable porteur de développement. Il a créé l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest (UCECAO) dans cet objectif.

En avril, ne te prive pas de vues d’Afrique
La programmation de 109 films a quatre premières mondiales et se poursuit jusqu’au dimanche 30 avril. Vous pourriez y voir la charmante Halimatou Gadji présenter sa nouvelle série « le futur est à nous – Akwaba », avec Serge Abessolo. Quand à moi, ce sera l’occasion de voir mon coup de coeur, « Mayouya » de Claudia Yoka. Entre film et série, Maroc, Congo ou Haïti, vous avez le choix. Consultez le catalogue et la programmation et dépechez vous de prendre vos billets!